Mon travail, apparemment hétéroclite trouve sa cohérence dans le temps et dans l’accumulation de détails. C’est une collection ouverte, en construction, constituée d’éléments identifiés comme appartenant à une forme de représentation de la figure humaine. Cette quête, je l’inscris dans une lecture universelle et atemporelle de l’humain.
Alors que je vis depuis plus de trente ans au Maroc où la couleur est omniprésente : lumière, terre, architecture, tissus et autres objets multicolores ; je travaille surtout en noir et blanc. Cela me semble nécessaire à la lisibilité de ma recherche.
Foule, groupe, couple, individu, portrait, tout ou partie de la personne humaine se reconnaissent avec évidence.
Un sentiment de solitude, d’isolement voire d’enfermement, d’espace carcéral se perçoit au fil de mes travaux.
Les formes décharnées, osseuses sont récurrentes, expressives, expressionnistes ou au contraire uniformes, anonymes, stéréotypées.
Les corps hiératiques, répétés avec constance, alignés, encastrés, compilés s’inscrivent au delà des limites du cadre, à l’infini. Absurdité d’un état qui nous dépasse.
Tandis que les corps en marche s’opposent aux corps morts comme pour marquer une forte volonté de survivre au milieu du fracas.
Chaos par ailleurs suggéré par les corps morcelés et les portraits fragmentés, tout en préservant paradoxalement le sens du jeu, puzzle, ou d’autres jeux de formes.
Tout cela constitue l’essentiel, inlassablement, de mes préoccupations plastiques depuis de nombreuses années, avant même le début de mes études aux Beaux Arts.
Je crée ces figures principalement en peinture et en gravure mais dessin, collage, modelage, peinture murale, installation, volume... participent aussi à la réalisation de mes oeuvres.
Je me sers de la particularité de la gravure à produire des multiples pour en jouer sur un même papier. Nombre de mes peintures sont réalisées à partir d’estampes juxtaposées et marouflées sur toile. L’ensemble est retravaillé ou pas. Mes estampes naissent de l’impression manuelle de matrices de natures diverses : bois, argile, écorce de liège, tige de feuille de palmier... sur des supports légers comme le papier de soie. Bien sûr, je travaille aussi la gravure en utilisant les techniques courantes (cuivre, eau-forte, aquatinte, presse, impression sur des papiers souples, riches...) mais j’aime également me confronter à la contrainte de supports à graver ou à tailler, de natures et de dimensions variées. Cela m’oblige à trouver une réponse adaptée avec un résultat inattendu qui n’aurait pu exister si j’avais dessiné ou peint une image directement, sans passer par ces intermédiaires. Quelquefois, rarement, je reprends d’anciennes réalisations qui n’avaient pas supporté l’épreuve du temps et de mon regard porté sur elles.
Après l’élaboration du projet, la mise en oeuvre me remplit d’aise, me repose. Je savoure le véritable travail de «broderie», lent, méticuleux, rigoureux que nécessitent certaines réalisations. Ce rythme me convient, m’apaise et favorise la maturation d’autres desseins.
À Tétouan, Joëlle Arnut Hanebali.